Vous voulez ma photo ?

Attention, sujet sensible.

Ceci se veut une petite mise au point à l'égard de certaines personnes qui proclament parfois à tort et à travers (et pas toujours de bonne foi) que "Yo, cette photo est sous licence libre, vous pouvez en faire ce que vous voulez, ce sont les 4 libertés, Yeehaaaaah !!!"

(si si il y en a)

(et j'ai déjà pu débattre assez longuement sur le sujet avec certaines d'entre elles, ce qui a permis des avancées indéniables ; mais d'autres semblent ne pas avoir vraiment compris le problème, et les formulations adoptées sur certaines pages de certains sites ou wikis demeurent fort ambiguës voire contradictoires ; de plus, les informations fournies aux personnes prises en photo - que ce soit via de jolis posters ou oralement - manquent encore souvent volontairement de clarté, je suis assez bien placée pour le savoir ; d'où ce qui suit)

Petits rappels :

Indépendamment de la question du droit d’auteur, l’utilisateur doit être vigilant lorsque sur le contenu apparaissent des personnes ou des biens ; l’autorisation doit être précise (durée, territoire, modalités, etc.) afin de s’assurer que la personne a donné son consentement à toutes les utilisations qui seront faites de l’image.

When dealing with photographs of people, we are required to consider the legal rights of the subject and the ethics of publishing the photo in addition to the concerns of the photographer and owner of the image. These former issues are quite distinct from the copyright status of the image and may restrict or impose obligations on those taking, uploading or reusing a photograph. A Creative Commons licence or public domain status, for example, means that the photographer (or other owner) has waived or lost certain rights and that their permission to use the image is not required. However, the photographer is not able to remove any rights belonging to the subject of the photograph.

Ainsi :

  • le droit à l’image s’applique quelle que soit la licence de diffusion et n’a en fait rien à voir avec la licence de diffusion, puisque celle-ci concerne uniquement l'auteur·e de la photo, et non les personnes présentes sur la photo.

Aussi :

  • Ce n’est pas parce qu’on dit “oui” pour être pris·e en photo qu’on dit automatiquement “oui” pour tout usage ultérieur de la photo ; en général, le “oui” est un “oui” pour avoir sa photo en ligne, par exemple dans un album photo d’une association sympathique. Quand on donne son accord pour une photo, cela ne peut concerner que son usage dans un cadre bien défini, comme par exemple le droit de la mettre en ligne sur le site de l’événement où la photo a été prise. Du coup, si la personne qui a fait la photo veut ensuite la publier sur Facebook ou Twitter, et si elle n’a pas demandé explicitement la permission de le faire, elle doit, normalement, redemander au(x) sujet(s) de la photo. C’est une question de respect, plus encore que de droit. D’éthique.

  • La diffusion sous licence libre (qui est un choix réfléchi de l’auteur·e) ne permet en rien de se dédouaner du droit à l’image (qui protège les personnes sur les photos). Affirmer sans plus de précisions que, la photo étant diffusée sous licence libre, on est autorisé·e à la modifier-rediffuser librement, c’est juste risquer de pousser les gens à se mettre en défaut par rapport à la loi. Par exemple, on ne dit pas “oui”, a priori, pour qu’une photo où l’on figure de façon parfaitement reconnaissable soit retouchée avec des sabres lasers, et ce à des fins de communication à large échelle (je ne plaisante pas, c’est du vécu…). La diffusion de la photo sous licence libre par la personne ayant pris la photo (liberté de modification, rediffusion, etc.) n’autorise aucunement ce type d’initiative, qui risque de porter préjudice à la personne prise en photo.

La “philosophie du libre” promeut le développement d’outils sous licence libre en particulier pour redonner à l’individu la maîtrise de son environnement et de ses données personnelles. Quoi de plus contradictoire avec cette philosophie que de se prétendre, sous couvert de licence libre, maître·sse de l’image d’autrui ?

Certes, pour la plupart des “œuvres de création” (logiciels, romans, œuvres graphiques…), la personne qui crée est “reine”, c’est elle qui décide de faire don de son œuvre à la communauté, de la mettre sous licence libre. Mais ici, il y a autre chose en jeu : l’image d’une personne qui a accepté, pour une raison x ou y, de figurer sur une photo.

Alors pensez à elle. Certes, elle a dit “oui” pour être prise en photo lors d’un apéro ou sur un stand, et pour que sa photo soit publiée sur tel ou tel site d’association. Mais a-t-elle dit “oui” pour que sa photo se retrouve sur Facebook ? Ou qu’elle soit transformée de manière qui peut éventuellement nuire à son image, même si c’est fait par de gentil·le·s bisounours·es libristes qui ne pensent pas à mal ? Lui avez-vous vraiment demandé ? Alors, avant toute réutilisation, parlez à cette personne, assurez-vous de son accord. Surtout si vous comptez retoucher sa photo de façon non négligeable (genre, en lui mettant un sabre laser dans les mains1 - et non, ceci n’est pas uniquement du ressort de la liberté de modification liée à la licence libre !), surtout pour une diffusion à grande échelle. Même, et je dirais même surtout, si vous agissez pour le compte d’une association promouvant le libre, en photo comme ailleurs.

Certes c’est du droit, mais c’est aussi, avant tout, une question de respect des personnes. Restez dignes des valeurs que vous défendez. Ne vous croyez pas tout permis sous couvert de licence libre. Et surtout, ne faites pas croire faussement, et parfois délibérement, pour des motifs de “practicité” toute relative, aux personnes que vous prenez en photo, qu’à partir du fait qu’elles ont accepté d’être prises en photo pour une diffusion sous licence libre, on pourra user, ultérieurement, “librement” de leur image. D’abord parce que c’est faux (droit à l’image oblige), ensuite parce que cela ne peut qu’être incompatible avec une philosophie du Libre digne de ce nom.


  1. Oui, c’est de l’expérience vécue. ↩︎